Des muscles aux neurones : le sport, un baromètre

Un samedi matin, dans un parc encore humide, une femme trottine doucement. Rien d'extraordinaire dans sa foulée, si ce n'est qu'elle ne "fait" plus du sport : elle observe. Le contact du pied avec le sol, la tension discrète qui chemine le long de son épaule, le souffle qui cherche son tempo. Depuis peu, elle a délaissé l'idée de performance pour une autre manière de bouger : attentive, précise, ouverte aux signaux internes.

Une manière de courir qui contraste radicalement avec ce qu'on voit dans la plupart des salles de sport : respiration heurtée, mâchoires serrées, corps projetés dans l'effort. L'activisme sportif (« plus fort, plus vite, plus loin ») rend l'effort spectaculaire, mais renforce une autre habitude plus insidieuse: la crispation. 

Sans qu'on le réalise, ce type d'entraînement habitue le système nerveux à fonctionner sous tension.

Quelques heures après sa course, la même femme en fait l'expérience : une discussion familiale s'anime, et voilà que son épaule remonte, son souffle se coupe, ses pensées accélèrent. Le corps reprenait le scénario avant même que les mots n'arrivent.

Ce lien entre mouvement et communication, longtemps considéré comme une intuition ou un constat empirique, commence à être éclairé par les neurosciences..

Les tensions ne restent pas au vestiaire

Des travaux de Stanford rappellent que le cerveau ne distingue pas vraiment une contraction musculaire destinée à pousser une barre d'une contraction émotionnelle déclenchée par un conflit.

Antonio Damasio, pionnier des neurosciences émotionnelles, l'a montré : le corps réagit avant la pensée consciente. Variations de souffle, micro-tensions, battements cardiaques… autant de signaux immédiats qui s'allument dès qu'une situation nous touche, qu'il s'agisse d'une côte à gravir ou d'une remarque qui pique.

Ces tensions ne sont pas des accidents de parcours : ce sont les empreintes de nos automatismes émotionnels. En mouvement, notre physiologie rejoue les schémas que le cerveau a automatisé. Et plusieurs études sur la plasticité neuronale le confirment : le cerveau automatise ce qu'on lui fait vivre régulièrement.

Répéter un effort sous tension, c'est donc ancrer une posture intérieure sous tension. Un sport pratiqué sans conscience des crispations ne détend pas : il renforce la crispation.

Courir, s'arrêter, respirer : autant de moments où le corps raconte.

Le mouvement, un laboratoire émotionnel

À l’inverse, les recherches en cognition incarnée montrent que la perception fine des sensations (posture, appuis, souffle ) active les circuits cérébraux responsables de la régulation émotionnelle. Observer ce qui se passe dans le corps, c’est apprendre à reconnaître :

  • le début d’une impatience,

  • la montée d’une émotion,

  • la dérive de l’attention,

  • la contraction qui annonce la réaction impulsive.

Une attention sensorielle entraînée en mouvement affine notre conscience dans les relations. Comme le dit Lisa Feldman Barrett : « Les émotions ne tombent pas du ciel. Elles émergent d’un dialogue constant entre le corps et le cerveau. »

Rendre ce dialogue plus clair prépare une autre manière d’être avec les autres.

Le souffle, modulateur social

Les travaux de Stephen Porges sur la théorie polyvagale ont révélé un lien direct entre respiration, tonus vagal et comportement social. Lorsque le souffle s’allonge, le nerf vague se régule ; quand il se régule, le système de défense se désactive.

Conséquences très concrètes :

  • la voix se pose,

  • le regard se fait plus stable,

  • la réactivité émotionnelle diminue,

  • l’écoute devient possible.

Un éducateur sportif raconte qu’il reconnaît immédiatement les personnes sous tension chronique : “Elles respirent comme en état d’alerte.” Lorsqu’elles réapprennent à respirer autrement, il observe des changements nets : moins de piques, des paroles plus mesurées, une capacité nouvelle à s’excuser ou à apaiser.

Le souffle, presque invisible, modifie la texture même des relations.

Quand les neurones miroirs prolongent l’effort

Les découvertes de Giacomo Rizzolatti sur les neurones miroirs confirment une intuition des entraîneurs : notre état intérieur se transmet automatiquement. Un corps tendu tend l’autre. Un corps calme calme l’autre.

Dans un échange, tout circule : ton de voix, rythme, micro-gestes, tension des épaules. La communication ne se joue jamais uniquement dans les mots.

Ainsi, apprendre à relâcher ses tensions dans l'effort transforme aussi la qualité de présence dans les échanges.

Ces micro-ajustements qui changent tout

Les personnes qui adoptent une pratique plus sensorielle rapportent souvent les mêmes changements :

  • elles coupent moins ou plus tard,

  • elles réagissent moins impulsivement

  • elles perçoivent mieux les signaux faibles,

  • elles détectent les émotions de l’autre avant qu’il ne les formule,

  • elles restent ancrées dans les échanges les plus chargés.

Rien d’ésotérique. Juste le résultat naturel d’un système nerveux moins saturé, d’un corps mieux écouté et d’une attention plus stable.

Ce que nous répétons dans le geste, nous le répétons dans la vie. Ce que nous transformons dans le geste, nous le transformons dans la vie. Le sport n'est pas qu'une affaire d'entretien physique, de défouloir ou d'exploit : c'est un miroir, un révélateur, un terrain d'apprentissage où se rejouent, parfois à l'identique, nos façons de prendre soin de nous-mêmes, d'écouter, de répondre, de nous tendre ou de nous ouvrir

Et pour les sportifs, chasseurs de performance ?

Paradoxalement, observer les crispations pour les relâcher, voire accepter de ralentir temporairement, contribue à optimiser les performances, parfois même à les dépasser. Un organisme qui lutte contre lui-même gaspille de l'énergie. Un organisme qui apprend à relâcher ce qui n'est pas nécessaire libère de la puissance, améliore la fluidité du geste, réduit le risque de blessure et accroît l'endurance.

Les athlètes de haut niveau l'ont bien compris : la recherche de l'efficience (faire plus avec moins de résistance interne) devient la clé de leur progression.

L'observation fine du corps ne s'oppose donc pas à la performance : elle en est le levier le plus subtil.

Juliane Leclair

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Corps, mental, nutrition : Vos automatismes au pouvoir